Après avoir travaillé dix ans dans l’hôtellerie, David Lebée co-fondateur de Dayuse, a mis le doigt sur un marché très prometteur : la réservation des chambres d’hôtel en journée, pour quelques heures, à des prix réduits et pas seulement pour des rendez-vous coquins. Avec une stratégie de développement international très agile, la start-up s’est imposée dans le secteur en pleine croissance de « l’Hotel office » ou de la  « workspitality ». Rencontre.

 

Désirée de Lamarzelle : Quel est le modèle économique de Dayuse  ?

David Lebée : De la même manière que les autres sites de réservation comme Booking etc. on prend une commission sur le prix de vente. Elle varie entre 15 et 20 % selon l’hôtel, d’un groupe ou chaîne hôtelière, et selon la zone qu’ils occupent et parfois du standing.

 

Commercialisez-vous le « ranking » des offres d’hôtel comme certains ?

Nous proposons 20 résultats par page, donc si vous faites une recherche large – par ex. sur Paris – vous aurez une vingtaine de pages pour couvrir les 400 hôtels en Île-de-France. Pour se retrouver parmi les premiers, nous avons un système de RPM (revenu pour 1000) : il analyse les pages vues des hôtels avec une jauge qui démarre au millier d’utilisateurs et donne lieu à une certain taux de conversion. Cela détermine pour nous la qualité de l’offre dans une palette extrêmement large de services, de styles, et de standing parmi tous les hôtels. Nous sommes principalement tournés vers « l’expérience client », c’est-à-dire que la création de notre valeur repose sur une volonté très forte de payer le juste prix pour la juste consommation. C’est qui nous permet d’être performant : nous venons de fêter nos 10 ans d’existence et nous nous projetons pour les 20 prochaines années encore !

 

Vous vous mettez à la place des consommateurs…

On pourrait vendre des chambres plus chères, cela nous permettrait de gagner plus ; néanmoins notre modèle économique repose sur la satisfaction du consommateur. Le résultat de recherche doit privilégier l’hôtel qui plaît le plus aux consommateurs et non pas celui qui génère le plus de revenus pour nous.

 

Intégrez-vous les offres d’Airbnb ?

Non, pas du tout. En dehors de quelques chambres d’hôtes de châteaux, notre métier est celui de l’hôtellerie. Et nous n’avons pas vocation à proposer des services sur Airbnb pour la simple raison qu’opérationnellement ce n’est pas faisable avec des heures d’arrivée et de départ trop variables pour nos clients. Nous redonnons du pouvoir d’achat aux hôteliers. Ces derniers souffrent énormément depuis plusieurs années car il sont subi trois vagues consécutives de crise de modèle économique : la première est liée à l’émergence des sites comme Booking, Expédia etc. Ils sont devenus dépendants faute d’avoir eux-mêmes pris le tournant digital. La deuxième vague est l’arrivée d’Airbnb qui a apporté une nouvelle approche de l’hôtellerie pour des consommateurs qui ont évolué. Mais cela les a obligés à se renouveler. Enfin la troisième et la plus grosse souffrance vient de la crise du Covid. On sait déjà qu’il y a entre 20 et 30 % des hôtels dans le monde qui ne rouvriront jamais leurs portes…

 

Comment analysez-vous les retombées du Covid depuis votre outil de réservation ?

Nous avons chez Dayuse une vision assez « worldwide » du marché car nous sommes implantés un peu partout dans le monde.  C’est une hécatombe en France – tout dépend des zones géographiques – et en Europe, néanmoins ils ont bénéficié d’aides, comme le chômage partiel, qui sont déjà significatives par rapport à l’Asie et les États-Unis. Si nous n’avons pas de visibilité à court ou moyen terme, il se dit qu’il faudra plusieurs années pour que les hôtels se remettent de la crise et dont certains baisseront le rideau. Il est probable que les chaînes soutenues par des gros financements soient plus armées que le petit hôtel indépendant.

 

Comment avez-vous vécu le confinement chez Dayuse ?

C’est paradoxal mais nous nous en sortons très bien même si nous avons pris la vague comme tout le monde. La raison tient dans notre implantation à travers le monde qui a permis que d’un continent à l’autre en fonction de l’avancée du virus notre situation économique n’est jamais tombée à zéro. Même au mois d’avril où la planète entière était confinée subsistaient certaines des zones comme Hong Kong et Singapour pour faire marcher l’économie hôtelière. Et en août 2020, nous avons eu les mêmes résultats qu’en 2019, même si, depuis, nous sommes sur une croissance moins impressionnante qu’auparavant mais néanmoins toujours positive.


Qui sont vos concurrents ?

Nous avons trois concurrents : un espagnol, un italien et un américain fondé par un de mes anciens collaborateurs. Mais nous restons ultra leaders – avec une belle avance – et avons levé 20 millions de dollars depuis notre  création pour grossir encore plus vite, notamment pour l’internationalisation, qui est  notre force. Les start-up francophones qui font 85 % de leur chiffre d’affaires en dehors de l’Hexagone restent rares. Notre premier marché est les États-Unis, puis l’Angleterre, la France, le quatrième est Hong Kong et le cinquième l’Allemagne. Nous avons préempté le marché international assez facilement car nous n’étions pas contraints par la technologie ou par d’éventuels brevets, mais parce que nous avons créé de la valeur au travers d’une marque et mais aussi les contrats hôteliers dont bientôt 6000 partenaires dans le monde.

Nous n’avons rien inventé ; la réservation sur quelques heures a toujours existé mais « sous le manteau » par le biais des réceptionnistes. C’est en travaillant à l’hôtel Amour que j’ai compris qu’il y avait un besoin de digitaliser et industrialiser cette offre.

 

La consommation à la journée varie-t-elle selon les pays ?

Absolument… D’ailleurs, quand j’ai monté la société avec un capital de 4000 €, nous avons joué avec cet ADN sulfureux, en termes de communication. Mais pour pour attirer des investisseurs internationaux ou signer des chaînes internationales, on se devait d’avoir une identité moins sulfureuse pour réajuster notre message : on est passé d’une réservation pour « un rendez-vous coquin » à une « une chambre en journée pour travailler ou se reposer». Mais après, chacun y trouvera son intérêt, son usage. Mais pour répondre à votre question, on identifie avec le recul des axes de consommation très différents :  principalement le « travel business » aux États-Unis alors que sur des zones très latine comme la France, l’Italie, même l’Espagne nous avons une partie de la clientèle dont la consommation est axée sur le couple, probablement adultère car majoritairement en semaine. Contrairement à l’Asie, en particulier Hong Kong, dont la consommation est le week-end, et donc un moment d’évasion de couple dans un pays où culturellement on vit dans un cadre très familial avec par exemple la grand-mère dans la pièce d’à côté.

 

Quels sont vos prochains développements ?

Rendre notre produit encore plus attractif, en ouvrant de nouvelles verticales d’usages comme celui de la piscine. En gros, nos clients pourront bénéficier dans les très grands hôtels des métropoles de l’usage de la piscine, par ailleurs les hôtels bénéficieront du revenu additionnel en remplissant leur piscine. Offrir une expérience transat, bord de piscine, intérieur ou extérieur fait parti de nos projets en cours.

 

Quels sont les freins des hôtels qui ne veulent pas travailler avec vous  ?

Il y a des hôtels qui n’adhèrent pas au programme pour une multitude de raisons et notamment d’un point de vue logistique car cela demande d’opérer un peu différemment avec des chambres qu’il faut nettoyer plus souvent. Mais globalement, cela permet aux hôteliers de booster leur taux d’occupation.

Enfin aujourd’hui, en pleine crise de Covid, nous permettons à l’hôtel de rouvrir ses portes à une clientèle plus locale. Autour de chez soi, nous avons des hôtels qu’on ne connait pas forcément, qui peuvent devenir un lieu d’expérience avec le sentiment de se faire un plaisir, de voyager à deux pas de la maison.

 

Une nouvelle manière de consommer l’hôtellerie ?

L’« hotel office » devient un terme assez à la mode : le groupe Accor a lancé son, offre à l’instar d’autres chaînes internationales, qui est très similaire à la nôtre. Une expérience d’une journée de 9h à 18h dans une chambre d’hôtel, pour bosser, peut-être aussi recevoir, faire un meeting, se concentrer, etc… une consommation hybride entre professionnelle et personnelle, car le client pourra aussi descendre à la salle de sport ou à la piscine. Une alternative à l’open space ou la maison. Peut-être même qu’à 19h il restera à l’hôtel pour se boire un petit verre avant de retourner dans son appartement juste en face de l’hôtel !